Du Son’ à la Salsa: grandeur et décadence de la Musique Cubaine
Sans aucun doute, le Son’ est l’ancêtre de la Salsa. Cette musique rurale de l’Oriente avait été ramenée à l’origine par les soldats cubains ou américains des guerres du Mexique. Le premier Son’ aurait été celui de la « Ma Théodora ». Les instruments traditionnels du son’ sont: la guitare ou le tres (à trois cordes doubles métalliques), la botija (cruche évidée dans laquelle on souffle pour les basses), la marimbula (piano à pouces africain hérité du sanza, bientôt remplacée par la contrebasse ou la basse en terre- corde attachée au sol et à une branche pour le jeu en plein air), pour les percussions le guiro (en forme de poire striée grattée), les bongos (deux petits tambours collés, un grand et un petit) et les claves (bâtonnets de bois dur entrechoqués, à l’origines des bouts de bois pris par les dockers sur les quais qui ont donné leur nom à la clave, base rythmique de la musique cubaine en 1-2-3/4-5 ou 1-2/3-4-5). Ce Son primitif et rural de l’Oriente est appelé « son montuno » (montagnard). C’est celui que pratiquaient Compay Segundo (futur héros du film « Buena Vista Social Club » avec les Afrocuban Allstars) à ses débuts en duo avec Hierrezuelo sous le nom de Los Compadres (dont il était la seconde voix, d’où son surnom de « Secundo ») ou aujourd’hui encore la Familia Valera Miranda pour sa forme rurale.
En 1929, le Son arrive avec la crise à La Havane. L’un des premiers groupes enregistré fut le Trio Matamoros de Miguel Matamoros avec son « Son De Loma ». Le Son sera contaminera les autres musiques, devenant rumba son, boléro son, son guajira en se mélangeant à elles. Dans les années 30s, le « Sexteto Occidente » d’Ignacio Piñeirio, qui devient ensuite « Septeto Nacional » après le départ de Maria Teresa Vera sera le plus populaire de ces orchestres de Son’ urbains. Dans les années 30s, le joueur de très Arsenio Rodrigues (aveuglé dans son enfance par la ruade d’un âne) ajoute les cuivres à son « Conjunto », avec les trompettistes cubains assourdissants Chocolate et Chappotin (annoncé dans les enregistrements par son nom). Après le départ d’Arsénio Rodriguès pour les Etats-Unis (où il espérait recouvrer la vue grâce à une opération, sans succès, et mourra dans la misère alors qu’à Miami la Salsa battait son plein), le groupe continua avec le chanteur Miguelito Cuni et le pianiste Lili Martinez « Griñan », sous le nom de « Los Senores Del Son » dans les années 40s. Le groupe « Sierra Maestra » d’Adalberto Alvarèz (au nom tiré de la montagne Cubaine où se cachèrent Fidel Castro, Che Guevara et les survivants de leur débarquement manqué avant d’attaquer le régime en place de Battista) continue aujourd’hui cette tradition avec succès.
Parallèlement, beaucoup de musiciens Cubains émigraient aux Etats Unis comme Mario Bauza. Il initia Dizzy Gillespie aux rythmes afrocubains et lui présentera le joueur de congas cubain noir Chano Pozo, qui mourra assassinné après quelques années. Le beau frère de Mario Bauza Machito Grillo forma les « Afrocubans », qui jouèrent « Manguo Mangue » avec Charlie Parker (l’un des rares musiciens de be bop à être vraiment arrivé à improviser avec des Cubains, les afro-américains étant plus habitués aux rythmes 4/4). Ils faisaient du « Cubop » (musique cubaine et bebop) qui donnera lieu Latin Jazz.
Quand Fidel Castro prit le pouvoir, il voulut aussi régenter la musique, interdit les orchestres « tipo jazzband » et le jazz (américains), le son, le guaguanco des noirs (qui devaient oublier l’esclavage), les descargas (jam sessions cubaines), le danzon (hérité des contredanses européennes de salon). Il voulait de la musique moderne et sérieuse portant le message de la révolution mais débarrassée de tout ce folklore colonial, donc de toutes les traditions populaires cubaines, tout en restant spécifiquement Cubaine! Pour ce faire il crée un label, Egrem (studio où sera enregistré « Buena Vista Social Club ») et l’Orchestre National de Musique Moderne, dont font partie le pianiste Chuco Valdès, le saxophoniste Paquito D’Rivera et le trompettiste Arturo Sandoval qui durent négocier âprement pour monter enfin leur groupe, « Irakere », ouvert aux nouvelles musiques américaines (rock psychédélique Hendrixien pour la guitare en wah wah permanent, basse carrément funk, cuivres qui hurlent avec la puissance d’un big band ou improvisent des chorus quasimment free , et pour le répertoire, des thèmes yoruba -ethnie des esclaves à l’origine du guaguanco des escaves noirs, mais modernisés, rythmés par des congas et un langage entre incantation en dialecte yoruba et débit presque rap en espagnol, une énergie extraordinaire, rendue par le live « Primeiros Exitos ».) Pour moi, le premier groupe de salsa fut Irakere à cette période, qui faisait de la Salsa sans le savoir! Mais Paquito D’Rivera et Arturo Sandoval, lassés du régime castriste, voulaient évoluer, jouer du jazz aux Etats-Unis. Lors de la première tournée du groupe en Europe, ils restèrent en Espagne, clandestins le temps de trouver un visa pour les Etats-Unis. Chucho Valdès et Irakere existent encore mais leurs disques ne valent pas les premiers.
Il y avait de plus en plus de musiciens latinos à New York, mélangeant funk, soul et musique latine pour les barrios (quartiers latinos), comme Joe Cuba, portoricain qui crée le « Boogaloo ». Le flûtiste dominicain Johnny Pachebo et Jerry Mancusi (un italo américain) pour les finances comprirent qu’il y avait là un marché, un public et de l’argent à se faire, et créèrent un label, la Fania AllStars, et un de leurs premiers disques avec l' »Orquestra Harlow », qui donna un film s’appelait « SALSA! ».
Ensuite ils ont enregistré à tour de bras Célia Cruz, Tito Puente (qui par contre a toujours eu l’honnêté de dire quand on lui parlait de Salsa (sauce): « la seule salsa que je connaisse, c’est celle que je mets sur mes spaghetti! »), tous y sont passés, chantant la gloire de leur réunion et bien sûr de la Fania, s’autoproclamant « Estrellas De Fania » (Etoiles de la Fania), avec un succès commercial évident de cette « Latin Soul » chez la population latine et dans toute l’Amérique du Sud! Mais la Salsa c’est la sauce, même épicée, on met tout dedans quelle que soit la culture d’origine des musiciens, on fait chauffer, on sert et on récoltes les bénéfices! Pour moi c’est quand même une forme d’appauvrissement par la répétition des mêmes recettes plus dansantes que musicales, avec la petite cloche (cowbell) pour que les danseurs(ses) ne perdent pas le tempo. Un Dj de Salsa m’a dit un jour qu’il ne pouvait pas pas passer de son’, parce que les filles n’arrivaient pas à danser sans cette cloche! Tout ceci est toujours plus ou moins lié par les bases rythmiques cubaines simplifiées, et quelques apports rythmiques Portoricains (la « Bomba ») ou Colombiens (la « Cumbia »). Et les Cubains, à cause du blocus, n’en SAVAIENT RIEN jusqu’en 1982 où Oscar D’ Léon, un Vénézuelien, donna son premier concert à Cuba, sur des rythmes…cubains bien sûrs, et en rendant hommage à cet tradition.
Ruben Gonzalès (futur pianiste du Buena Vista Social Club) a bien riposté avec un « Estrelas De Areitos » (Areito étant un label Cubain), dernier disque de Chappotin, avec Enrique Jorrin (le père du Cha Cha Cha dirigeant les violons), mais le mal était fait. Dans les années 80s, le succès commercial de Gloria Estefan « Mi Tierra » ressemble beaucoup à du Son’ et les musiciens viennent du son’ comme le contrebassiste Israël Cachao Lopez (qui a fait une seconde carrière avec un titre « El Son No Hay Muerto »). La Bande Originale du film musical « Buena Vista Social Club » de Wim Wenders, avec le guitariste américain Ry Cooder, est un album de Son’ avec des vieux musiciens de son’, arrangé pour le goût américain country avec plus de guitares que de cuivres, qui a remporté un grammy en musiques du monde en 1998. A l’origine du projet, Juan De Marcos voulait faire un disque plus cuivré, mais le producteur anglais Nick Gold a mis comme condition le succès commercial du film de Wim wenders.
Beaucoup de gens ont découvert le Son’ par ce film et ce disque. Mais leur meilleur album, reste « Toda Gusta Mi Cuba » des Afrocuban Allstars avec des cuivres pour le côté salsa, mais les rythmes des morceaux sur la pochette sont guajira son, son montuno, son gaguanco,etc…. En un sens, Son’ et Salsa coexistent aujourd’hui mais personne ne connaît plus cette histoire. On apppelle le Son’ Salsa indifféremment.
A Cuba, les jeunes musiciens qui ne font pas de la Salsa mais de la « Timba » comme « Orquestra NG » (Nueva Generacion) et en veulent aux papys allstars de leur voler leur succès. Ils ont fait un excellent morceau « La Protesta De Los Chivos » où les chevreaux supplient à grands renforts de bêêêêlements de devenir tout sauf des tambours parce que les percussionnistes tapent trop fort! Dans la Salsa, Adalberto Alvarez fait encore de la salsa sur des rythmes son comme « El Mal De Hypcrisia ».
Ce qui me chiffonne aussi dans la Salsa, c’est que tous ces pays sont dans la misère et leur population très pauvre, alors que le discours des chansons n’est pas du tout engagé, au mieux consolateur (« même si ta vie est noire, la salsa est ta consolation »), ou sexuel, à part deux Colombiens Joe Arroyo et son groupe « La Verdad » qui a fait une chanson sur les esclaves qui se sont enfuis en Colombie, « Rebellion », et Yuri Buenaventura qui déclare en concert: « Moi je suis de l’America Latina, pas celle qui fait la guerre à l’Irak! » et danse d’une manière plus énergique et tribale que sensuelle. Pour en savoir plus, je vous conseille « Musiques Cubaines », un livre disque de Maya Roy avec un disque très bien sélectionné de tous ces styles, et, pour les rapports entre le Jazz Américain et les musiques Cubaines ayant donné naissance au Latin Jazz, « CALIENTE! Une Histoire du Latin Jazz » de Luc Delannoy.
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